La stéréophotographie

La stéréoscopie est un principe fascinant. Sans utiliser de technologie complexe, en se reposant sur les capacités de l’œil et du cerveau, on parvient à reconstituer des scènes comme si on les voyait devant soi. Plusieurs techniques permettent de voir – ou de créer – ces photographies stéréoscopiques. Tour d’horizon…

Principe général

Nos yeux, écartés d’environ 6 cm, envoient en permanence à notre cerveau deux images légèrement décalées l’une de l’autre. On peut le constater en fixant un objet que l’on masque avec un doigt, bras tendu, et en fermant/ouvrant un œil puis l’autre.

Le stéréoscope à miroirs de Charles Wheatstone (1832) [source]

C’est cette différence de perspective qui nous permet de percevoir le monde en trois dimensions, tout du moins pour les objets les plus proches. Pour les objets éloignés, d’autres mécanismes entrent en jeu, qui ne relèvent pas de la vision stéréoscoopique.

La stéréoscopie reprend donc ce principe pour reproduire artificiellement cette vision dédoublée, en présentant à chaque œil une image différente, avec une perspective légèrement décalée, simulant ainsi le rendu de la scène observée en trois dimensions… Et le résultat est totalement bluffant !

Techniques de visualisation

Il existe plusieurs méthodes pour visualiser des images stéréoscopiques, certaines nécessitant un peu d’entraînement. La première méthode consiste à utiliser un appareil de visualisation, et des clichés préparés sous un certain format…

Stéréoscopes

Il existe plusieurs sortes d’appareil de visualisation de photos stéréo, appelés stéréoscopes. Nous avons tous connu (enfin, les moins jeunes de mes lecteurs) ces appareils vendus dans les boutiques touristiques des lieux emblématiques en France :

Ceux-ci permettaient de visualiser des photos en plutôt bonne qualité, du fait de l’utilisation de films positifs couleur (c’est une des limites du numérique aujourd’hui, c’est impossible de reproduire ce procédé à bas coût), et ne nécessitaient bien sûr aucun entraînement !

D’autres modèles existent, et peuvent être trouvés sur des brocantes pour des tarifs raisonnables (je dirais 30 à 50 euros), mais ils fonctionnent uniquement avec des photographies sur plaques :

Un stéréoscope tel qu’on peut encore en trouver sur des brocantes [source].

Le rendu des clichés réalisés avec cette technique est cependant absolument magnifique ; j’ai eu l’occasion de voir une série de photos de la première guerre mondiale – je crois d’ailleurs que c’était la première fois que je voyais des images 3D – d’un réalisme époustouflant !

Vision croisée

D’un autre côté, la technique de visualisation la plus complexe à acquérir est aussi celle qui vous demandera le moins de matériel : c’est la technique de la vision dite “croisée”.

Les deux photos préparées à l’avance sont affichées côte-à-côte, et un entraînement spécifique va permettre de regarder l’image de gauche avec l’œili gauche, et l’image de droite avec l’œil droit.

Pour apprendre à voir les images 3D de cette manière, rendez-vous sur cette page.

Avec un peu d’entraînement, donc, cette technique permet de visualiser des images stéréoscopiques sans aucun matériel :

Une vue du parc des Buttes Chaumont (Paris, 19e) en vision croisée stéréoscopique.

D’ailleurs, certains auteurs d’articles scientifiques utilisent cette technique pour montrer des éléments en trois dimensions dans leurs articles :

Cet article de la revue Geodiversitas utilise la technique de vision croisée pour présenter des spécimens en 3D. Légende originale : “Molinodus suarezi: partial maxilla (MHNC 13870) with incomplete M1-2 and complete M3. Stereophotograph of occusal view” [source].

Le gros avantage de cette technique de visualisation est qu’elle préserve l’intégralité des couleurs, sans les modifier. Ce n’est pas le cas pour la suivante.

Vision anaglyphe (avec des lunettes rouge/bleu)

L’autre mode de vision stéréoscopique très connu, car peu cher et simple d’utilisation, est la vision anaglyphe, c’est-à-dire en colorant les vues en rouge et bleu, une couleur pour chaque œil. De cette manière, il suffit de revêtir des lunettes avec des verres colorés rouges et bleus pour voir apparaître la troisième dimension.

Plusieurs algorithmes permettent d’obtenir une photo anaglyphe à partir de deux photographies légèrement décalées, altérant plus ou moins les couleurs, des clichés noir et blanc aux différentes représentations couleur. Dans tous les cas, on perd la colorimétrie originale du sujet, mais pour certains, ça peut ne pas avoir d’importance. Et puis ça rend la stéréoscopie très accessible !

Le clocher de l’église de Chamery (Marne) pendant sa rénovation (2011),
en vision anaplyphe noir et blanc

La méthode de visualisation la plus simple et la moins coûteuse utilisant la vision anaglyphe, les photos stéréoscopiques proposées sur ce site sont publiées sous ce format. Il faudra donc vous procurer des lunettes rouges et bleues pour en profiter pleinement (on en trouve en ligne pour quelques euros).

Autostéréogrammes

Une des premières expériences de 3e dimension dont je me souvienne, c’était un autostéréogramme paru dans un numéro de Science & Vie, qui faisait apparaître un crâne humain très détaillé, sur fond noir/vert, avec un effet de décolement très marqué : il semblait littéralement flotter au milieu de la page !

Les autostéréogrammes sont des images elles-mêmes fabriquées à partir de plusieurs images : une en trois dimensions, va être “imprimée” sur un fond répétitif, qui va être “déformé” par l’image 3D. Cela donne une image qu’il faut regarder en laissant légèrement ses yeux diverger, au point de faire se superposer deux motifs quasiment identiques. Surgit alors l’image en trois dimensions initiale :

Auteur : Fred Hsu [source]

J’ai découvert sur la page Wikipédia sur les autostéréogrammes – qui donne de bien meilleures explications que moi sur le fonctionnement des autostéréogrammes –, qu’il en existait aussi des versions animées ! Il faut prendre le coup pour les voir, mais c’est impressionnant…

Cliquez ici pour voir la version animée (sinon, incluse dans la page, ça piquait trop les yeux !) [source : Wikipédia]

On trouve de nombreux autostéréogrammes par ici.

Techniques de réalisation

L’idée n’est pas de vous décrire ici en détail les différentes méthodes de réalisation de photos stéréoscopiques, mais plutôt d’évoquer les expériences que j’ai effectuées, et les résultats – plus ou moins satisfaisants – obtenus.

D’un pied sur l’autre

La première méthode pour réaliser des clichés 3D, la plus simple et la moins coûteuse aussi, est la méthode dite « d’un pied sur l’autre » ; on cadre son sujet en prenant appui sur sa jambe gauche, on prend une première photo, et toujours en visant son sujet, on bascule sur la jambe droite. On prend ensuite un second cliqué.

De cette manière, on obtient deux photographies avec un léger décalage qui, après traitement, permettra de faire réapparaître la 3e dimension, avec l’une des techniques de visualisation ci-dessus.

Voici un exemple avec deux photographies prises au parc de la Butte du Chapeau rouge (Paris, 19e) :

Les deux photos affichées successivement

La version côte-à-côte de la stéréophotographie :

Et la version anaglyphe couleur :

Pour réaliser ces images, j’ai utilisé le logiciel StereoPhoto Maker.

Avantages : simple et peu coûteux, ne nécessite qu’un seul appareil photo, les deux photos sont de la même qualité (puisque c’est le même appareil).

Inconvénients : il faut prendre le coup pour le décalage jambe gauche/jambe droite, et entre les deux, il ne faut pas incliner l’appareil. Le résultat est souvent un peu approximatif. De plus, le fait que les deux photographies soient prises successivement impose de ne prendre que des sujets parfaitement immobiles. S’il y a du vent dans les feuilles, les photos 3D vont piquer les yeux…

Voici quelques photos supplémentaires prises avec ce procédé, en anaglyphe noir et blanc :

Utiliser deux appareils synchronisés

Une deuxième technique relativement accessible consiste à utiliser deux appareils photos, ou deux smartphones, rassemblés via un support dédié :

De cette manière, les deux appareils sont en permanence dirigés vers le même sujet, avec le décalage de quelques centimètres qui va permettre, ensuite, de reconstruire l’effet 3D. Pour prendre les deux photos en même temps, je n’ai rien trouvé de mieux que d’utiliser deux déclencheurs bluetooth, un pour chaque smartphone, et de tenter d’appuyer sur les deux boutons en même temps…

Photo stéréoscopique anaglyphe noir et blanc
prise au Parc zoologique de Paris.

Il faut cependant veiller à utiliser les deux mêmes appareils ; de mon côté, nous possédions, avec ma compagne, exactement le même modèle de téléphone, un Asus Zenfone 3 de 2017. Cela m’a permis de réaliser pas mal de cliqués 3D, que je présenterai dans quelques galeries dédiées ici. La technique est assez efficace, et réduit le décalage de temps entre les deux photos (qui passe de quelques secondes à quelques dizièmes de secondes), mais cela ne suffit pas pour prendre des sujets en mouvement.

Petite anecdote : j’avais déjà acheté mon propre téléphone avant de commander, quelques mois plus tard, celui de ma compagne. Les deux modèles auraient donc dû être identiques, mais les clichés réalisés, pourtant très proches, n’étaient pas exactement équivalents. Je n’ai jamais réussi à régler correctement la colorimétrie par exemple, ce qui occasionnait un décalage perceptible dans certains cas. Mais le rendu général des clichés était tout de même très bon !

Utiliser un appareil photo 3D

La dernière solution consiste à acheter un appareil photo dédié à la stéréophotographie. Malheureusement, ça n’est pas si simple…

Un essor important

Il semble, au moment de sa découverte, que la stéréophographie ait connu un essors exponentiel. Le rendu en trois dimensions, uniquement basé sur un procédé optique passif, a énormément plu au grand public, et de nombreux éditeurs se sont mis à imprimer des clichés stéréoscopiques (donc des images côte-à-côte) par milliers, puis par centaines de milliers.

On utilisait alors le “Stéréoscope de Holmes”, qui avait le mérite d’être très simple d’utilisation :

Stéréoscope de Holmes [source].

De nombreux appareils

Plus tard, et le développement des photographies sur plaques de verres, le type d’appareil ci-dessous s’est largement répandu, et on peut en trouver aujourd’hui, pour quelques dizaines d’euros, sur des brocantes.

La qualité des photos était extraordinaire, et l’effet 3D particulièrement bien rendu. Mais les clichés restaient en noir et blanc, et les plaques de verre étaient fragiles…

Diapos stéréos

Dans les années 70-80, il était encore facile d’obtenir et de visionner des clichés stéréoscopiques. Les diapositives permettaient des prises de vues de bonne qualité à bas coût. Deux visionneuses (une pour chaque œil) suffisaient ensuite à reproduire l’effet 3D, et on se retrouvait alors avec des photos couleur de très bonne qualité, en trois dimensions, et visionnables sans entraînement (ce qui est un atout pour les partager autour de soi !)

Et alors, la 3D en numérique, ça devrait être génial, non ?

Et bien c’est le contraire. Malgré l’explosion du numérique, il est paradoxalement plus compliqué de réaliser aujourd’hui de belles photos stéréoscopiques – car on ne peut pas imprimer les photos sur de tout petits supports transparents (l’équivalent des diapositives) ou alors à des prix exhorbitants –, qu’au temps des appareils argentiques. Un comble…

Fujifilm W3, appareil stéréo vendu… en 2010 !

D’un autre côté, quasiment aucun constructeur ne s’est attelé à la tâche de produire un appareil photo stéréo. Quelques modèles existent, ou plutôt ont existé, mais le choix est réduit comme peau de chagrin. En pratique, il y a un seul modèle achetable aujourd’hui :

Cet objet insolite, c’est un appareil 3D qui sert également de visionneuse…

Une dernière chose…

Quelqu’un peut m’expliquer, avec tous les objectifs inutiles dont sont farcis les smartphones modernes, que personne n’ait pensé à séparer deux objectifs de 6,5 centimètres pour permettre la prise de vue de photos stéréosscopiques ?

C’est malin, ils ont mis tous les objectifs dans le même coin…

Quel manque cruel d’imagination de la part des constructeurs…

Conclusion

Pour terminer ce (long) billet, je vous invite à consulter les sites ci-dessous, qui m’ont permis de récolter les informations données plus haut, et les galeries de photographies stéréoscopiques que j’ai réalisées moi-même, selon les différentes méthodes décrites plus haut.


Sources


Photographies stéréoscopiques…

  • Le Parc zoologique de Paris (3D)
    Voici une série de stéréophotographies prises en septembre 2020 au Parc zoologique de Paris (anciennement, Zoo de Vincennes). Les photos nécessitent des lunettes rouges et bleues pour être visionnées en trois dimensions. La technique de prise de vue utilisée a consisté à fixer deux smartphones de même modèle à un rail, et à prendre pour…
  • La stéréophotographie
    La stéréoscopie est un principe fascinant. Sans utiliser de technologie complexe, en se reposant sur les capacités de l’œil et du cerveau, on parvient à reconstituer des scènes comme si on les voyait devant soi. Plusieurs techniques permettent de voir – ou de créer – ces photographies stéréoscopiques. Tour d’horizon… Principe général Nos yeux, écartés…
  • Balade dans les Viennes (3D)
    Promenade (à vélo bien sûr) le long des Viennes, à Sainte-Savine, près de Troyes. Pour profiter de la 3e dimension, ces photos doivent être regardées avec des lunettes rouge (œil gauche) et bleu (œil droit).
  • Le Jardin Hérold en 3D
    Des photos stéréo prises au jardin Hérold (Paris, XIXe). Ces photos doivent être visionnées avec des lunettes rouge/bleu.